« Ecrire pour le théâtre au féminin »

Ecrire pour le théâtre au féminin, c’est au départ une histoire de référence, d’influence et d’inspiration de personnages féminins du répertoire classique et moderne. Mon attirance voire ma fascination va en premier lieu aux personnages grecs tels que : Antigone, Médée, Electre ; qui nous donnent le goût du verbe poétique, la grandeur de la révolte réfléchie et nous révèlent la profonde complexité humaine. Tchékhov aussi est présent et particulièrement sa pièce les trois sœurs, pièce qui se présente comme une leçon magistrale dans l’art de faire parler et représenter l’âme féminine avec toutes ses strates psychologiques, langagières et existentielles. Pour le contemporain, c’est plutôt B.M. Koltès avec des personnages comme ceux du texte Le Retour au désert : Mathilde, Fatima, Mam Queleu ou Marie. Des figures de femmes où se mélange violence, mystère et poésie ; elles appartiennent toutes à l’histoire moderne mais elles en parlent avec une langue et un langage à la fois du Shakespearien et Brechtien... Tous les écrivains que j’ai cité dans ce préambule sont des hommes qui ont démontré à travers leur œuvre qu’on peut écrire et représenter une vérité de la femme sans être une femme et porter un regard à la fois tendre, sévère et juste…Un homme qui écrit sur la femme, c’est un homme avec un grand H, un être humain qui est en interaction avec sa réalité sociale et psychologique, et la femme est fondatrice de cette réalité socio-psychologique… Dans ce sens, je pense personnellement qu’il n’y a pas une spécificité du genre ou des traits distinctifs d’une écriture spécifique du genre ; chaque regard d’écrivain révèle une couleur de l’être personnage femme ; probablement le dramaturge homme repère plus l’expression extérieure alors que le monde intérieur reste moins accessible… ? Le plus important chez l’écrivain, c’est d’avoir une conscience qu’on crée et qu’on compose un personnage avec un conditionnement socio-physique féminin ; et cela doit se traduire dans les actes, le langage et le discours de ce personnage…Les données physiques sont essentielles dans la spécificité et l’expressivité féminine, et le théâtre a besoin de faire parler cette dimension car elle constitue un pilier du genre dramatique. De même, il y a une dimension d’ordre « psychologique » qu’on peut relever chez les femmes ; elles se préoccupent plus de leurs corps, elles osent plus, , elles ont le sens de la transgression et c’est cela qui aussi intéressant à montrer et à réflechir. Puis, il important de rappeler aussi un principe général de base ; comme il y a des théâtres au pluriel, il y a aussi plusieurs genres de personnages féminins à représenter selon la nature du regard et l’angle de vision. Une première question : est ce qu’on peut parler d’un langage spécifiquement féminin ? Il y a sûrement une différence entre le parlé masculin et le parlé féminin selon chaque contexte ou situation ; la différence se traduit des fois dans la composition rythmique et la longueur des phrases mais il y n’y a pas une spécificité fondamentale à mon sens entre les deux genres car on peut trouver aussi dans le genre (femme) beaucoup de variations et à ce niveau, la dimension sociale reste toujours déterminante. Il est plus logique que le personnage féminin fasse appel à des thèmes et à des sujets particuliers et cela est lié à la fois à la psychologie féminine et le statut social – par exemple : toutes les variations et les dérivations de la thématique amoureuse sont proches de la sensibilité des personnages féminins - , de même que les sujets liés à la condition de la femme elle-même... ou le monde des faibles… Dans mon expérience personnelle de dramaturge, l’une des thématiques privilégiées et où la femme occupe une place importante ; est celle de la famille et les constellations qui en découlent. La femme constitue le pilier de l’univers familial (épouse, mère, sœur, fille, cousine…). Assez souvent, la relation femme/femme peut être plus inspiratrice que la relation femme/homme ; le lien féminin ou au féminin est une source de composition de situations plus riches et qui permet des multitudes de nuances psychologiques. Dans ce sens, les personnages féminins occupent toujours une place importante dans mes textes car ils offrent une charge émotionnelle très particulière. Le sexe du personnage est déterminant en quelques sortes ; il n y a pas de neutralité et la distribution ne peut changer cette donne. Mais il y a d’autres démarches dramaturgique où la différence entre le masculin et le féminin n’est pas radicale, où même, ils peuvent être changeables et se jouer inversement… La construction d’un personnage féminin ou masculin est intrinsèquement liée à une référence et à une réalité selon bien sûr le style et le genre choisi ; ainsi, le statut de la femme au Maroc influence nécessairement la composition du rôle et son fonctionnement dramatique. L’identité culturelle constitue non seulement le socle ou le miroir d’un vécu commun partagé avec le public, mais elle est aussi le lieu d’une vision à développer et à faire voir… Lorsqu’on aborde la composition d’un personnage féminin, on ne peut faire l’économie d’une réflexion sur la place de la femme dans la société marocaine d’aujourd’hui et de tenter de définir le rapport de cette dernière à son environnement. La femme actuelle au Maroc est dans un élan de combat à la fois sur le plan des idées et aussi quotidiennement et concrètement par rapport à des nouvelles responsabilités qu’imposent la dite modernité… Dans ma démarche dramaturgique, la référence réelle comme fable et histoire est très présente et le choix pour un théâtre social et poétique intégrant des questions et des valeurs culturelles impose aussi le traitement de la thématique féminine. Mais il ne s’agit pas d’adopter une position féministe – chose qui m’intéresse moins - ; c’est plutôt traiter le sujet comme un paramètre majeur dans la donne sociale et mentale de la réalité d’aujourd’hui. Des fois, même le choix de noms de personnages féminins traduit et représente une représentation symbolique de la femme marocaine. Les femmes marocaines qui m’interpellent le plus, c’est surtout celles qui incarnent une forme de pratique de modernité et qui vivent des paradoxes et des tiraillements entre progrès et conservation… il n y a pas de guerres de sexes dans le sens commun dans, mais cette notion peut être présente dans des situations particulières pour alimenter une relation et devenir la toile de fond. Dans cette vision, je ne cherche pas à comprendre la femme dans la société ou l’homme ; je cherche plutôt et en premier lieu à me comprendre à travers leurs histoires… La femme et l’homme sont présents les uns dans les autres et même dans l’absence de l’un d’entre eux, il est présent… Une autre question se pose lorsqu’on aborde cette thématique : y a-t-il des limites quand on écrit pour la femme au théâtre ? En général l’expression artistique ne se donne pas de limites sauf celles imposées par la logique de la création et les normes du genre ; et dans le cas du genre théâtral, seul, pour moi : la poésie et la dramaturgie peuvent protéger le langage de toute vulgarité ou provocation gratuite. Toutes les situations ou comportements de vie peuvent constituer une matière dramatique de la fable ; c’est le traitement et la manière qui est essentiel… Mes personnages féminins se construisent entre fiction et réalité ; au départ, c’est des parcours humains qui s’intègrent dans une histoire avec des liens familiaux ou / et professionnels. Ces parcours se constituent comme un mélange d’une réalité imaginaire ; des fois, on s’inspire de gens proches ou moins proches… et on brode autour des situations fictionnelles ou inversement. On vole et on rend dans une restitution représentative d’un comportement collectif… Pour moi, les personnages féminins proposés dans mes textes ne diffèrent pas beaucoup d’une pièce à une autre - sur les cinq pièces écrites - ; la structure et le genre exigent bien sûr une composition particulière, mais il y a des constantes qui reviennent. Il y a surtout des moments ou des tranches de vie qui sont privilégiées : le moment de vie qui m’intéresse le plus dans l’élaboration et la construction des personnages, c’est entre la trentaine et la quarantaine. C’est un choix qui peut paraître aléatoire, mais il reflète peut être un regard générationnel, un peu subjectif sur la société marocaine… Ecrire pour le théâtre c’est une vision globale de représentation du monde et dans cette vision il y a des choix esthétiques porteurs de sens, et parmi ces choix : le dépassement de la formule classique de personnage central ou personnages premiers / secondaires (féminin ou masculin ). Tous les personnages sont des héroiennes à un certain moment du processus de raconter l’histoire ; c’est un choix qui se veut égalitaire dans l’esprit de réduire la frustration des interprètes et développer l’esprit de groupe et de plaisir… Parfois l’écrivain tombe amoureux de ces personnages (femmes ou hommes) et rêve de les rencontrer réellement… Un dernier questionnement d’ordre pratique est posé dans le prolongement de l’écriture, c’est celui de l’interprétation du personnage féminin et qui interpelle les comédiennes sur le style et l’approche du jeu et l’expérience d’incarner le rôle. Les actrices sont mieux placées pour répondre à ce questionnement car il dispose d’un regard comparatif entre les pièces et les personnages joués, mais je peux me hasarder à dire que l’expérience de la pièce « Larmes de Khôl » (que vous allez voir ce soir) m’a confirmé une constatation : la force d’un rôle et son lien avec la réalité se mesure par le degré d’adhésion et l’expression jouissive de l’interprète et qui est partagé par le public aussi… et enfin pour terminer : quand un dramaturge se donne la légitimité de faire vivre des êtres fictionnels et imaginaires, il se soucie plus de la personnalité, du langage et de la psychologie de son personnage que de son identité sexuelle bien qu’elle est parfois déterminante…